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Entre Inde et France, histoire du châle ou la révolution sociologique du textile  CHAPITRE 4


Le développement de l’industrie châlière

Les industriels anglais et français, puis par la suite les autres européens, découvrirent ce travail et imaginèrent avec justesse tout le potentiel du produit. Ainsi, à l’orée du 19ème siècle, l'Europe qui s’émerveille de cette précieuse laine qui prendra le nom de cachemire en référence à sa région d’origine, voit l'industrie châlière débuter simultanément au Royaume Uni, notamment dans la ville de Paisley en Ecosse ou à Norwich en Angleterre, et en France. L'invention du métier à tisser de Jacquard fut providentielle, car ces machines permirent de tisser en quantité des châles et étoles en reprenant des motifs traditionnels indiens ou en proposant des nouveautés. Avec une offre élargie, la demande fut particulièrement importante, non seulement en France, mais aussi dans les autres pays européens. Cette mode des châles de cachemire, colorés, brodés, tissés ou imprimés avec des motifs nouveaux donna naissance à une nouvelle industrie: l'industrie châlière. L’industrie châlière s’inscrit pleinement au cœur des prémices de la révolution du textile du XIXème siècle qui changea la face du monde et des échanges pendant tout le siècle. Mais nul n’arriva à égaler les fabrications et les savoirs faire minutieux du pashmina du Cachemire.

En France, on retient le nom du Baron Ternaux, industriel de génie, qui implanta une unité de production de châles cachemire bientôt appelés châles Ternaux à Louviers. Cependant, le grand succès de l’industrie du châle fut anglais. En effet, à Paisley, on tissait des châles qui inondèrent bientôt le marché occidental. Leur renommée fut telle que Paisley devint rapidement synonyme de châle en cachemire ainsi que les motifs boteh dont l’appellation avait été très tôt déposée.

Les industriels incités, encouragés et aidés par leurs gouvernements respectifs vont développer la fabrication de châles cachemire « made in Europe ». Face à la concurrence drastique et pour une meilleure rentabilité les broderies manuelles furent abandonnées pour un tissage mécanique avec l’utilisation du métier jaquard. Les motifs « buta », fleur en hindi, devinrent boteh, et furent récurrent pour rappeler l’origine indienne tant en vogue. Brodés, tissés ou imprimés, les motifs « paisley » furent associés au cachemire et même appelé encore aujourd’hui « motifs cachemire ».

La démocratisation et la concurrence, signes de déclin

Au début, satisfaire une demande ostentatoire de cachemire, il fallut faire venir le duvet des chèvres himalayennes. Mais les importations de cachemire de très haute qualité aux couts exorbitants, de surcroît limité par les embargos économiques et altérés par des contrebandes et des malversations, ont progressivement été concurrencées par de nombreuses imitations et par l’introduction d’autres matières premières.

Pour réduire le prix de revient et le prix de vente, les occidentaux utilisèrent d’autres matériaux que le pur cachemire. Dans un premier temps, la meilleure alternative était de mélanger le vrai cachemire avec de la soie ou de la laine. Plus tard, les mélanges laine et coton moins couteux, furent alors souvent utilisés. La laine de cachemire fut vite oubliée, et les industries châlière européennes remplacèrent ce duvet par la laine de moutons mérinos, fine mais grossière par rapport à la fibre originale de pashmina.

Rien de commun donc entre le shawl du Cachemire et le châle normand de Ternaux, mais les diktats de la mode, quelles que soient les époques, font passer les différences par pertes et profits. Mais les châles de

cachemire restaient inimitables. Ainsi, durant les décennies qui suivirent en Angleterre et en France, l’industrie du châle devint florissante. L’expérience des manufactures de tissage a permis d’adapter le tissage aux machines et aux nouvelles techniques pour imiter les designs indiens.

Mais il n’a jamais été possible de substituer une fabrication mécanique au tissage du cachemire utilisé avec la fibre de pashmina, trop fine.


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