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Entre Inde et France, histoire du châle ou la révolution sociologique du textile  CHAPITRE 5


Les designs et les impressions

Forts de symboles des tendances, les châles suivirent les changements de mode. La mode s’élargit aux dessins de plus en plus complexes, envahissants toute la surface des châles. L’engouement pour les motifs exotiques fut une opportunité pour mettre en valeur le travail des designers de génie comme Amedée Coudere ou Antony Berrus, qui influencèrent considérablement la décoration des tissus du 19ème siècle et qui laissèrent leur empreinte jusqu’à aujourd’hui. En 1830, il y avait encore des motifs essentiels dans les gardes robes des dames élégantes, puis ceux-ci évoluèrent de façon de plus en plus sophistiquée. Puis progressivement, les shawls tissés devinrent à portée des bourses des classes moyennes et se démocratisèrent en abandonnant leurs spécificités de luxe.

Aussi, dès 1837, les manufacturiers se lancent dans l’impression sur laine pour la fabrication de châles et de métrages. Des industriels alsaciens réussirent la prouesse de développer des techniques d’impression stables sur les laines et les tissus. Associé à tous les superlatifs, le motif cachemire tient alors une place prépondérante dans la production de tissus imprimés désignés sous le terme d’« indiennes ». La popularité du cachemire et l’engouement pour ses formes en S iront jusqu’à influencer l’art des jardins sous le Second Empire. Des paysagistes réputés s’en inspireront pour l’aménagement de parcs parisiens, celui de Montsouris par exemple.

La fabrication de châles atteindra ainsi son apogée dans les premières années du Second Empire, dans les années 1850. Cette mode du châle en Europe modifiera le système de production locale en Inde qui devra se conformer à la demande grandissante en modifiant les modes de fabrication et le style de dessins. L’industrie textile européenne tentera d’imiter ce genre nouveau pour elle. Si l’imitation se fait surtout par le tissage, on trouve également une production de châles imprimés sur laine. Car le terme cachemire s’applique au support utilisé pour le tissage mais aussi au motif et au genre. Les châles imprimés utilisent rarement du cachemire qui serait trop onéreux, mais des étoffes de laine, ou laine et coton, ou encore laine et soie.

Ainsi, la riche production alsacienne du 19ème fut importante et variée. Cependant, l’essentiel de celle-ci est encoure tourné vers le mouchoir de coton, les cravates ou autres impressions décorées de motifs boteh. L’arrivée massive sur le marché des châles en coton, imitation mécanique des véritables châles en cachemire et qui étaient décorés avec des boteh, furent faussement appelés pashmina, créant une fois de plus la confusion avec les pashminas authentiques. Cette banalisation des cachemires adorés fut l’une des principales causes du déclin de l’attrait magique du châle de cachemire.

En outre, et de surcroit, les modes vestimentaires changèrent et les modistes développèrent de nouveaux vêtements comme les fameuses jupes portefeuille ou les manteaux ajustés incompatibles avec le Châle Victorien qui couvrait tout le corps.

Et les modes changèrent

Dans les années 1870, la mode féminine se désintéressa du châle. Une des raisons fut la popularité de la tournure. Il était difficile de fabriquer une fine et élégante étole qui couvrait le dessus de la jupe sans la coincer. Aussi, peu couteuses, les étoles produites en masse devinrent largement disponibles, mais de fait moins exclusives et moins désirables. Plus tard, la période Victorienne devint une triste période dans l’histoire des shawls. Quelques magnifiques antiques shawls faits main furent découpés pour réaliser des vêtements plus fins, ou utilisés comme draperies et rideaux.

Désirables, désirées, après avoir recouvert les plus belles épaules du monde, elles ont été les reines des corbeilles de mariage, puis comme un monarque déchu, elles ont protégés les pianos et les sofas. Enfin, c'est dans une malle remisée au grenier que la plupart d'entre elles ont terminé leur vie au début du XXe siècle.

Trop souvent imité et falsifié, devenu banal du fait de sa démocratisation puis enfin n’ayant pas pu évoluer avec les nouvelles tendances vestimentaires, le châle sombra dans la désuétude.


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